Et vous, êtes-vous écosyndiqué ?
Cet entretien a été publié dans le cadre des Rencontres de l’Écologie et du Travail, un événement qui aura lieu les vendredi 29, samedi 30 et dimanche 1er mai à la Cité Fertile à Pantin.
Vous avez créé le printemps écologique en mai 2020 : quelle était votre intuition initiale ?
Anne Le Corre : Au tout départ, avant de créer Le Printemps écologique, on était un réseau de salarié·e·s militant·e·s dans leurs entreprises, qui s'appelait "Pro4climate". Il s’agissait d’activer les leviers possibles pour accélérer la transformation écologique de nos entreprises et administrations respectives. On a animé ce réseau pendant une année, on s’y partageait notamment les succès et les freins auxquels nous étions confrontés. Petit à petit, on s’est retrouvé à parler à des élus du Comité Social et Économique (CSE), instance de représentation du personnel dans l’entreprise. On n’avait jamais été en contact auparavant avec des syndicats, on n’était pas familier de cette modalité d’engagement. On s'est rendu compte que l'outil syndical, et plus précisément la représentation des salariés dans les entreprises, pouvait constituer un levier particulièrement efficace. C’est pourquoi on a voulu créer le Printemps écologique, pour s’emparer de cet outil et voir comment l'utiliser au mieux pour amplifier nos actions.
Aujourd’hui, le Printemps écologique, c’est un syndicat de salarié·e·s d’entreprises différentes, de tous secteurs et métiers, qui cherchent à accélérer la transformation de leurs entreprises et administrations. Ça peut être en exerçant une influence à différents niveaux : sur la façon dont ils et elles travaillent, sur la stratégie court terme et long terme de leur organisation et in fine sur sa raison d’être et son impact sur la société et l’environnement.
Le monde du travail ne peut pas rester à l’écart des discussions et des actions à engager pour que la planète reste vivable. Sinon, on oublie une grande partie de la société.
En tant que militant·e·s écologistes, vous avez choisi l'outil syndical pour agir ; vous avez donc la conviction qu’une transition écologique juste passera forcément par une transformation du travail ?
A. L. C. : On passe environ 90 000 heures au travail dans sa vie et l'entreprise est une construction sociale au cœur de la vie d’un grand nombre d’entre nous. Quitter son entreprise pour trouver des manières de travailler différentes, plus écologiques, c’est un acte que la majorité des salarié·e·s ne peuvent pas se permettre. Ça crée bien évidemment des dissonances qui peuvent être difficiles à gérer, entre convictions personnelles et actions professionnelles. L’entreprise c'est enfin une sécurité : le contrat de travail c'est quelque chose qui permet à beaucoup de personnes d'être confiantes dans l'avenir, en donnant une certaine visibilité sur le fait d’avoir un revenu par exemple. Donc selon nous, oui, le monde du travail ne peut pas rester à l’écart des discussions et des actions à engager pour que la planète reste vivable. Sinon, on oublie une grande partie de la société.
Il y a plusieurs manières d’agir sur la transformation des entreprises. De nombreux collectifs de salarié·e·s émergent pour peser sur les questions de transition écologique, souvent reliés à des dynamiques portées par la RSE des entreprises. Pourquoi avoir choisi l’outil syndical, qui peut sembler en déclin et éloigné de ces préoccupations écologiques, comme moyen d’action ?
A. L. C. : Dans l'entreprise, le syndicat, c'est la structure qui permet de représenter les salarié·e·s. Il donne un cadre à la discussion, c'est-à-dire un temps dédié et un temps rythmé. Quand on est élu représentant du personnel, on a des réunions qui sont récurrentes, avec des temps spécifiques et prévus pour dialoguer et échanger sur ce qu'il se passe dans l'entreprise. Ce sont aussi des budgets dédiés. Au sein des collectifs de salarié·e·s, qui sont plus informels, ces temps de discussion et de représentation ne sont pas comptabilisés et décomptés du temps de travail. L’outil syndical permet donc de lever un frein important à l’engagement des salarié·e·s : le manque de temps.
Notre vision du Printemps Écologique comme écosyndicat, c’est d’être un pont entre l’entreprise et la société civile, en amenant les ONG et associations directement dans l'entreprise.
A une échelle plus globale, en nombre d’adhérents, il est clair que les syndicats sont en assez fort déclin : 10% des salarié·e·s adhèrent aujourd’hui à un syndicat, ce qui est beaucoup plus faible qu’auparavant. Mais s' il y a plein de raisons à ce déclin, il ne faut pas oublier que les syndicats sont présents institutionnellement à beaucoup d'endroits. Ils ont une influence décisive sur les politiques sociales : de ce point de vue-là, ça n'est pas du tout un outil mort, au contraire.
L’outil syndical permet d'aller signer des accords d’entreprises et conventions collectives, des contrats résultant de négociations entre des salarié·e·s et l'employeur ou l’employeuse. Ce sont des contrats puissants, qui obligent l'entreprise vis-à-vis des salarié·e·s. Ces conventions collectives existent au niveau des secteurs et aussi au niveau national. Elles impactent dans ce cas l'ensemble des entreprises françaises, et c’est bien là la force du syndicalisme. Quand tu signes une convention nationale entre les différents partenaires sociaux (syndicats patronaux, États et syndicats de salarié·e·s), elle s'applique à l'ensemble des organisations productives françaises.
Vous présentez le Printemps écologique comme un écosyndicat. Tout en vous faisant les porteurs de cet outil de négociation puissant qu’est le syndicat, vous introduisez une forme de renouvellement en plaçant l’écologie au cœur du dialogue social ?
A. L. C. : L’innovation du Printemps écologique, c’est que nous prônons une intégration de l’écologie aux négociations sociales, partant du principe qu’urgence écologique et questions sociales doivent être traitées de front. Ce principe a d’ailleurs été introduit par la loi Climat et Résilience en août 2021. Depuis ce moment-là, l'impact environnemental de l'entreprise peut faire l'objet d’un dialogue social. Concrètement, d’une part, nous sensibilisons les salarié·e·s à l’engagement syndical. D’autre part, nous accompagnons celles et ceux qui veulent agir mais ne savent pas comment s’y prendre, en leur donnant des idées sur les personnes et associations qu’ils et elles peuvent contacter sur différents sujets, allant du numérique responsable à des actions de sensibilisation à l’écologie. Notre vision du Printemps Écologique comme écosyndicat, c’est d’être un pont entre l’entreprise et la société civile, en amenant les ONG et associations directement dans l'entreprise. C’est d'ailleurs un volonté d’autres syndicats. Des coalitions se sont formées entre syndicats et associations comme le Pacte du pouvoir de vivre, par exemple.
Le fait que les syndicats puissent traiter de front les questions sociales et écologiques doit devenir une évidence pour tous·tes les salarié·e·s et les syndicats.
Après deux ans d’existence, avez-vous quelques réalisations concrètes à nous partager ?
A. L. C. : Il y en a beaucoup ! Par exemple, des adhérents et adhérentes ont utilisé certains budgets du CSE où ils et elles sont élu·e·s pour lancer des bilans carbone dans leur entreprise. Cela leur a permis à la fois d’enclencher une discussion avec la direction, qui se fait en général en bonne intelligence mais qui a d’autant plus de résonance interne dès lors qu’elle se fait sous l’impulsion des salarié·e·s. C’est aussi un premier pas pour élaborer un plan d'action de réduction des émissions carbone sur les postes les plus importants. Ce sont des actions qui peuvent ensuite d’ailleurs être co-financées par l’entreprise, et pas seulement par le CSE. L’idée étant bien sûr d’influer progressivement sur la stratégie globale de l’entreprise.
Quelles sont vos perspectives actuelles au Printemps écologique, vos prochains défis ?
A. L. C. : Tout d’abord, nous voulons réussir à accompagner toutes les personnes engagées dans leur entreprise qui viennent nous voir. Cela demande souvent des compétences, notamment celles d’avocats sur les questions du droit du travail, et du temps. Nous sommes encore une petite structure, on a donc besoin de faire grandir notre base d’adhérents pour avoir davantage de ressources y compris financières. Un autre défi sera de signer notre premier accord collectif.
De manière plus globale, nous souhaitons que les syndicats soient identifiés comme pouvant traiter de front les questions sociales et écologiques, que cela devienne une évidence pour tous les salarié·e·s et les organisations syndicales. Oui, le syndicat est un outil qui sert à négocier les salaires. Mais pas que !
A très court terme, vous organisez prochainement les Rencontres de l’Écologie et du Travail avec Les Collectifs et Ouishare. Comment cet événement s’inscrit-t-il dans votre vision du rôle des syndicats ?
A. L. C. : Les Rencontres de l’Écologie et du travail, organisées le week-end du 1er mai à la Cité fertile à Paris, vont être l’occasion de créer des ponts entre des organisations qui portent sous des formes diverses ces sujets de transition écologique au travail. Nous voyons aujourd’hui la nécessité de créer du dialogue et de faciliter le passage à l’action de ces structures et de ces individus qui s’engagent. C’est ce que nous faisons à l’échelle du syndicat et ce que nous ferons lors des rencontres. Lors de cet événement, il y aura d’ailleurs d’autres syndicats : on est convaincu qu’il faut faire bouger les lignes ensemble, et rapidement.
Organiser cet événement, c’est aussi une manière de mettre au cœur du débat public l’importance de la transformation du monde du travail, qui n’est selon nous pas encore suffisamment abordée. C’est une question de société : repenser le travail et les organisations dans lesquelles on travaille, c’est repenser le monde dans lequel on habite. C’est aussi une question très concrète pour tous les salarié·e·s : doivent-ils changer DE travail ou faut-il changer LE travail ? Cette question sera posée lors d’une table-ronde, et la réponse n’est pas simple : tout le monde ne change pas de travail aussi facilement que cela. On espère que les salarié·e·s et directions qui viendront aux Rencontres en sortiront inspiré·e·s ; qu’ils et elles pourront y trouver de quoi enclencher de nouvelles actions au sein de leur entreprise.